Province de Liège : le point sur les actions contre le sous-financement de la Justice

Depuis la fin du mois d'avril, c'est une justice à la carte qui se dessine aux quatre coins du pays. Entre reports d'audience et mesures spécifiques à certaines juridictions, la magistrature s'organise pour lutter contre le sous-financement.
Depuis la fin du mois d'avril, c'est une justice à la carte qui se dessine aux quatre coins du pays. Entre reports d'audience et mesures spécifiques à certaines juridictions, la magistrature - soit tant les cours et tribunaux que les parquets - s'organise pour l'affirmer au nouveau gouvernement : "trop is te veel".
"La goutte d'eau qui a fait déborder le vase". La formule ricoche de palais de justice en bureaux de procureur depuis l'annonce, le 11 avril, d'un accord au sein de la coalition Arizona sur la ligne notamment budgétaire que le nouvel exécutif entend tenir. Dans cet "accord de Pâques", il est entre autres question de revoir le régime des retraites. Si "chacun doit contribuer" à l'effort, comme se plaît à le répéter le ministre des Pensions Jan Jambon (N-VA), les magistrats, eux, pointent des conditions de travail déjà désastreuses. Si même la pension n'est plus intéressante, que reste-t-il à la Justice pour attirer le personnel de demain ?, s'interroge grosso modo la magistrature. Parent pauvre depuis des décennies, le pouvoir judiciaire s'exerce en effet dans des bâtiments rongés par le temps (champignons, chauffage ou air conditionné déficient, etc.), tandis que les heures supplémentaires (impayées) s'accumulent et que certains magistrats en sont réduits acheter eux-mêmes une imprimante et les cartouches nécessaires à leur travail.
À cette goutte d'eau, le monde judiciaire a donc répliqué par un pavé dans la mare. Retour sur les actions déclenchées localement. Sans consensus sur les mesures à prendre, les parquets, cours et tribunaux ont en effet été laissés libres de choisir quelles mesures mettre en œuvre dans leur arrondissement judiciaire.
Les actions à Liège
Le parquet de Liège demande systématiquement, depuis le 28 avril, des reports d'audience devant les tribunaux correctionnels (sauf si la personne est détenue), de la jeunesse (sauf si un mineur est en danger), de l'entreprise (sauf urgence) et de police (excepté les accidents mortels ou avec blessés graves). Dans les cas où le juge n'accède pas à cette demande, les représentants du ministère public se limitent à une "application stricte de la loi", soit un réquisitoire basique sans argumentation sur les éléments à charge ou à décharge. La gestion quotidienne (analyse des dossiers, enquêtes, gardes...) est en revanche assurée, ainsi que l'exécution des peines (contrairement au parquet fédéral).
Le tribunal de l'entreprise se réserve le droit de reporter les dossiers dans lesquels l'État belge est demandeur. Les dossiers pour lesquels le ministère public ne comparaît pas à l'audience sont aussi systématiquement remis. La durée des audiences et le volume d'heures supplémentaires peuvent être limitées afin de réduire la surcharge de travail "à une juste mesure", ce qui pourrait déboucher sur des retards dans les prononcés. Les dossiers d'accords sont traités en priorité et la participation aux groupes de travail ne relevant pas directement des fonctions des magistrats est suspendue.
En matière pénale, le tribunal de police donne suite aux demandes de remises du parquet, sauf pour les dossiers jugés urgents (à l'appréciation de chaque magistrat). Ces affaires sont reportées à une date fixée en fonction des audiences disponibles. Sur le volet civil, les juges de police réservent leur décision sur les 50 euros de droits de mise au rôle.
En justice de paix, les dossiers non urgents sont aussi reportés - particulièrement ceux dans lesquels l'État belge, les Régions et Communautés sont demandeurs - ainsi que les demandes d'autorisation d'inscription hypothécaire sur base de l'article 594, 11° du code judiciaire. Les juges se réservent de plus à statuer sur les 50 euros de droits de mise au rôle. D'autres mesures pourraient être adoptées en fonction de l'évolution de la situation.
Depuis le 12 mai, la cour du travail (soit la juridiction d'appel pour une décision du tribunal du travail) donne à ses magistrats la possibilité de limiter les affaires prises en délibéré à une charge de travail de 40 heures par semaine. L'analyse d'autres dossiers, qui entraînerait de nouvelles heures supplémentaires, est postposée. Les magistrats prestent en effet déjà "structurellement" plus d'heures que prévu, notamment parce que les juges malades ne peuvent légalement être remplacés. Leur charge de travail incombe alors à leurs collègues. Les juges liégeois peuvent désormais aussi décider de renvoyer à plus tard les dossiers dans lesquels l'État ou un de ses organismes demande de récupérer de l'argent. La cour du travail préconise enfin de limiter les affaires prises en délibéré à celles dans lesquelles le ministère public rend un avis (exception faite des dossiers urgents), car cet "avis représente une plus-value très importante à la qualité de la décision" rendue par le juge. La cour du travail de Liège évaluera le dispositif à la fin du mois de mai et décidera alors si elle le maintient, voire le renforce.
Les actions au niveau fédéral
Dès le 16 avril, le Collège du ministère public (où sont représentés le procureur fédéral, les procureurs du Roi et les auditeurs du travail) annonce que les parquets n'accepteront plus de maintenir la suspension de l'exécution des peines d'emprisonnement de moins de cinq ans. Cette suspension avait été décidée par le précédent gouvernement pour désengorger les prisons. Quelque 4.000 peines d'emprisonnement ne sont pas exécutées depuis octobre. Soit autant de personnes qui devraient aller gonfler les cellules déjà surpeuplées du pays.
Le Collège, les chefs de corps et secrétaires en chef du ministère public conviennent également de ne plus fournir d'éléments de réponse dans le cadre de questions parlementaires et se réservent le droit de ne plus répondre à certaines demandes d'avis ou de participation à des groupes de travail adressées par les pouvoirs exécutif et législatif. Hors affaires pénales urgentes (faits de terrorisme et de mœurs, dossiers d'assises ou, plus généralement, lorsqu'une personne est détenue), le parquet fédéral décide en outre de demander systématiquement un report d'audience jusqu'à l'issue des vacances judiciaires de juillet-août.