Gil Simon, directeur de Resa, partage sa vision sur l'avenir énergétique, l'importance des compteurs intelligents et le rôle de Resa dans la décarbonation.
Directeur général de Resa depuis juillet 2018, Gil Simon, 48 ans, politologue de formation passé par plusieurs cabinets ministériels, pilote aujourd'hui l'une des pièces maîtresses du paysage énergétique wallon. À la tête d'une intercommunale liégeoise centenaire, il doit concilier transition énergétique, sécurité d'approvisionnement, investissements massifs dans le réseau de distribution d'énergie et attentes grandissantes des citoyens.
Resa, une intercommunale liégeoise au cœur de l'énergie
Resa n'est pas un acronyme, mais bien le nom d'une société publique issue de la longue histoire énergétique liégeoise. Héritière de l'ancienne Association liégeoise d'électricité et de la société LG, fusionnées il y a une vingtaine d'années, l'intercommunale gère aujourd'hui les réseaux de distribution d'énergie sur un vaste territoire. Elle regroupe une septantaine d'actionnaires locaux et reste profondément ancrée à Liège, où elle a fêté son centenaire en septembre 2023.
Son métier est clair : Resa est un gestionnaire de réseau de distribution d'énergie. L’entreprise n'est pas un fournisseur commercial et ne vend ni électricité ni gaz aux clients finaux. Depuis la libéralisation du secteur, cette mission incombe à des acteurs comme Engie, Luminus ou d'autres fournisseurs, tandis que Resa se charge de faire circuler l'électron et le gaz naturel jusqu'aux compteurs installés dans chaque maison.
Par rapport à Elia, transporteur à haute tension, la différence se fait par l'échelle d'intervention. Elia gère les « autoroutes de l'énergie », ces grands réseaux de transport, quand Resa s'occupe des routes régionales et communales de l'énergie, c’est-à-dire des réseaux de distribution moyenne et basse tension qui irriguent les quartiers, les villages et les zones d’activité.
Une entreprise publique structurée comme un service essentiel
Avec près de mille personnes, Resa réunit une grande diversité de profils : techniciens de réseau, ouvriers, spécialistes en haute et basse tension, ingénieurs, employés technico-administratifs, experts en gestion de clientèle et bureaux d'études chargés de planifier l’évolution des infrastructures. Le gestionnaire de réseau de distribution revendique une forte culture de service public, alimentée par la fidélité de son personnel et un climat social que la direction qualifie de très bon.
À l’image d’un hôpital, le réseau de distribution d’énergie ne dort jamais. Resa fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avec des systèmes de garde et des équipes prêtes à intervenir en cas de panne. « Un réseau sans panne, cela n’existe pas », rappelle Gil Simon. La technologie, qu’il s’agisse d’une installation électroménagère, d’une voiture ou d’un réseau électrique, peut toujours connaître un défaut. L’enjeu pour le gestionnaire de réseau est d’en limiter la fréquence et d’assurer une réparation rapide et sûre.
Drones, intelligence artificielle et maintenance préventive
Pour surveiller ses infrastructures, Resa mise aussi sur les nouvelles technologies. Sur certaines lignes aériennes de moyenne tension, notamment en Hesbaye, les réseaux traversent champs, bois et campagnes, ce qui complique les inspections classiques. L’entreprise utilise désormais des drones couplés à de l’intelligence artificielle afin de détecter de manière préventive les défectuosités sur ces lignes. Un exemple concret de modernisation de la maintenance des réseaux électriques.
Électricité et gaz : deux métiers complémentaires
Si l’on parle beaucoup d’électricité, le gaz naturel reste un volet essentiel de l’activité de Resa. Le gestionnaire de réseau dispose de moins de kilomètres de canalisations gaz que de câbles électriques, mais il distribue, pour deux fois moins de clients, environ deux fois plus d’énergie que pour l’électricité. Le gaz joue un rôle historique majeur dans le sillon industriel et reste, pour de nombreux ménages, la principale source de chauffage.
L’avenir du gaz s’inscrit toutefois dans un contexte de décarbonation. La fin progressive du gaz d’origine fossile ne signifie pas nécessairement la fin de toute molécule gazeuse. Resa évoque le potentiel du biométhane, la montée en puissance de l’hydrogène ou encore les futurs usages du CO₂. Abandonner soudainement le gaz reviendrait à convertir l’intégralité de cette énergie en électricité, ce que les réseaux de distribution ne pourraient pas absorber aujourd’hui. La transition énergétique passera donc aussi par de nouvelles molécules et une réflexion sur la place du gaz dans le mix énergétique.
Les compteurs communicants au cœur de la transition
Pour les citoyens, l’actualité la plus concrète est le déploiement des compteurs communicants, souvent appelés compteurs intelligents. D’ici 2030, tous les anciens compteurs doivent être remplacés. Les nouveaux dispositifs mesurent la consommation d’énergie en quasi temps réel et transmettent les données au gestionnaire de réseau de distribution.
Techniquement, il s’agit de compteurs communicants plutôt que de simples compteurs intelligents : ils envoient des informations qui permettent à Resa de mieux gérer le réseau de distribution d'énergie, de suivre les flux de puissance et d’ajuster les investissements. Là où les données n’étaient relevées qu’une fois par an, le gestionnaire de réseau dispose désormais d’une vision fine et dynamique du fonctionnement des infrastructures.
Pour les consommateurs, ces compteurs communicants constituent aussi un outil de pilotage. Avec l’augmentation prévue du nombre de plages horaires et l’évolution de la tarification décidée par le régulateur, les ménages seront incités à adapter leurs consommations en fonction des heures de la journée. L’objectif est que les citoyens deviennent de véritables « consom'acteurs », capables d’agir sur leur facture d’énergie en exploitant les informations fournies par les compteurs intelligents.
Le remplacement des compteurs se fait via un marché public de sous-traitance. Un consortium spécialisé prend contact avec les habitants pour fixer des rendez-vous et procéder aux installations. L’opération est annoncée comme gratuite pour les citoyens. Les textes prévoient la possibilité de désactiver la fonction communicante, mais Gil Simon insiste sur l’importance de ces données pour une gestion intelligente du réseau et pour la transition énergétique.
Panneaux photovoltaïques, décrochages et sécurité des réseaux
La montée en puissance de la production décentralisée d’énergie, en particulier les panneaux photovoltaïques, a profondément modifié l’équilibre des réseaux électriques. Historiquement, le système reposait sur quelques grandes centrales (nucléaires ou au gaz) alimentant un grand nombre de points de consommation dans un flux unidirectionnel. Avec les installations photovoltaïques sur les toits, chaque habitation équipée devient une micro-centrale énergétique injectant ses excédents sur le réseau.
Les infrastructures n’avaient pas été dimensionnées pour cette multiplication de sources décentralisées. Si la première vague de panneaux photovoltaïques a pu être absorbée, le développement massif des dernières années a engendré des contraintes inédites, notamment des décrochages d’onduleurs en période de forte production. Ces décrochages, s’ils sont frustrants pour les propriétaires, contribuent à la sécurité des installations intérieures et des équipements de réseau, en évitant les surcharges.
Resa prévoit des plans d’investissements ciblés pour renforcer les capacités d’injection sur le réseau de distribution, tout en poursuivant la production d’énergie verte, considérée comme indispensable à la transition énergétique.
Explosion de la demande de puissance et révolution énergétique
Au-delà des panneaux photovoltaïques, le gestionnaire de réseau constate une explosion de la demande de puissance électrique. Le phénomène dépasse largement Liège, la Wallonie ou la Belgique : il touche l’ensemble de l’Europe. L’essor de l’intelligence artificielle génère des besoins gigantesques en data centers, gros consommateurs d’énergie électrique. La mobilité électrique réclame des bornes de recharge à forte puissance. Parallèlement, des entreprises cherchent à décarboner leurs processus industriels en substituant progressivement l’électricité au gaz.
Résultat : les demandes de raccordement se multiplient. Alors que la Belgique distribue aujourd’hui environ 80 TWh d’électricité, les projections de demandes approchent le double, autour de 150 TWh. Cette « révolution énergétique » est plus rapide que prévu. Si les acteurs avaient anticipé une électrification de la société, l’ampleur et la vitesse du mouvement dépassent les hypothèses initiales.
Investir massivement dans les réseaux de distribution d'énergie
Pour y faire face, Resa a élaboré un plan stratégique à long terme. Sur la période 2026-2028, l’intercommunale s’inscrit dans le cadre légal imposé aux sociétés publiques, mais elle se projette aussi jusqu’en 2050. Sur ce territoire, près de trois milliards d’euros d’investissements sont prévus d’ici cette échéance, soit environ un milliard de plus que les investissements traditionnels. Il s’agit d’un véritable plan industriel pour « doper » les installations électriques et adapter le réseau de distribution d'énergie aux nouveaux usages.
Comme il s’agit d’un secteur régulé, Resa n’investit pas seule : les enveloppes d’investissement sont accordées par le régulateur. Gil Simon plaide pour une « union sacrée » entre le monde politique, la régulation et les opérateurs de terrain. L’électrification du territoire est présentée comme un enjeu majeur de développement économique et d’aménagement du territoire. Sans électricité, rappelle-t-il, « le cœur de l’activité économique ne bat plus ».
Les délais, toutefois, restent contraints. Remplacer un transformateur, doubler une ligne, enterrer un réseau ou créer un nouveau poste haute tension ne se fait pas en quelques clics. Les infrastructures énergétiques sont la colonne vertébrale d’un territoire et se déploient dans le sol, au prix de travaux lourds et de procédures administratives complexes. Resa appelle donc à simplifier les règles, accélérer certains processus et adapter, si nécessaire, le cadre réglementaire pour répondre plus rapidement aux besoins.
Facture d’énergie et coût collectif de la transition
Ces investissements massifs ont un coût. Une partie est supportée via les tarifs de distribution, sous le contrôle du régulateur. Des aides exceptionnelles des pouvoirs publics peuvent également intervenir. Pour les ménages, la question est simple : ces travaux se traduiront-ils par une hausse de la facture d’énergie ? Gil Simon rappelle que, dans tout système, quelqu’un doit supporter le coût des infrastructures, mais insiste sur le fait que la régulation et les pouvoirs publics ont un rôle clé pour lisser ces impacts et accompagner la transition.
Un secteur qui recrute : des emplois dans les réseaux et l'énergie
Les besoins en main-d’œuvre suivent la dynamique des chantiers. Resa prévoit de recruter environ une centaine de personnes dans les prochaines années. À cela s’ajoutent les emplois générés chez les entreprises partenaires, sociétés de génie civil et prestataires technologiques mobilisés sur les projets. Les réseaux électriques et gaziers apparaissent ainsi comme un gisement d’emplois techniques et technologiques, durables et non délocalisables.
Le directeur général lance un appel aux jeunes intéressés par la technique et les métiers de l’énergie : les réseaux de distribution d'énergie, les compteurs intelligents, la maintenance des infrastructures et la transition énergétique offrent des opportunités de carrières passionnantes.
Montefiore, un déménagement chargé d'histoire à Liège
Parallèlement aux enjeux techniques, Resa vit une transformation immobilière symbolique. Une partie des activités a déjà quitté le site historique de Louverné pour rejoindre un bâtiment situé boulevard d’Avroy, en plein centre de Liège, sur l’axe du tram. Ce choix répond à des critères de durabilité et de mobilité, avec un siège facilement accessible pour les clients et les partenaires.
Mais le bâtiment d’Avroy 38 ne suffit pas à regrouper l’ensemble des équipes. Resa investit donc l’ancien Institut Montefiore, rue Saint-Gil, juste derrière son siège actuel. Ce site historique, qui abritait à la fin du XIXᵉ siècle la première école européenne d’ingénieurs en électricité et en électromécanique, accueillera à terme les équipes de l’intercommunale. Un clin d’œil à l’histoire industrielle de Liège : là où l’on formait les premiers ingénieurs de l’électricité, se construira désormais une partie de l’avenir des réseaux énergétiques.
Fusion en vue ? La question d’un rapprochement entre gestionnaires de réseau
Au-delà de ses projets propres, Resa est également concernée par un débat plus large : l’hypothèse d’une fusion avec un autre grand gestionnaire de réseau wallon, telle qu’évoquée dans la déclaration de politique régionale. Le gouvernement a confié une étude à des consultants chargés d’examiner différents scénarios.
Pour Gil Simon, il s’agit d’abord d’un débat politique et actionnarial. Resa appartient à la province de Liège et aux communes. La question centrale, selon lui, est celle de la plus-value : pour les clients et les citoyens, pour les actionnaires publics, pour le personnel et pour la performance du réseau de distribution d'énergie. L’entreprise se dit prête à analyser les pistes qui sortiront de la mission de consultance, tout en se montrant attentive à la protection de ses intérêts et de son modèle.
Une entreprise solide, bien notée et tournée vers 2050
Resa met en avant plusieurs atouts : un plan stratégique clair à l’horizon 2050, un modèle économique jugé performant et une solidité financière attestée par la notation de l’agence Moody’s (A3, perspective stable), qui en fait l’un des gestionnaires de réseau de distribution les mieux notés de Belgique. Cette notation facilite l’accès aux marchés des capitaux à des conditions favorables, ce qui est crucial pour financer les investissements dans les infrastructures.
La direction insiste aussi sur la qualité du climat social en interne, élément clé pour affronter des défis « gigantesques ». Dans un contexte où les réseaux électriques et gaziers sont au cœur de la transition énergétique, l’intercommunale liégeoise entend se positionner comme un acteur stable, capable d’investir, d’innover et de maintenir un service public de qualité.
Compteurs communicants, réseaux renforcés et emplois : une transition à suivre
Entre le déploiement des compteurs communicants, la modernisation des réseaux de distribution d'énergie, l’intégration des nouvelles molécules comme le biométhane ou l’hydrogène, la montée en puissance des data centers et des bornes de recharge, le déménagement vers Montefiore et les réflexions sur une éventuelle fusion, les prochaines années seront décisives pour Resa.
L’intercommunale liégeoise, bras opérationnel du politique sur le terrain, affirme avoir une vision et un cap. Reste à savoir comment la régulation, les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens s’approprieront ces transformations, dans un paysage énergétique en pleine mutation.