Ville touristique wallonne, Liège tente de concilier essor du tourisme, mutations du commerce et malaise du centre-ville.
À Liège, l'attractivité touristique et l'attractivité commerciale sont désormais réunies au sein d'un même échevinat. Un signal politique fort dans une ville qui doit faire face à une désertification du centre-ville, à des commerces en difficulté et à une image écornée par les travaux, la mobilité, la propreté et le sentiment d'insécurité.
Aux commandes de ce nouvel échevinat de l'attractivité touristique et commerciale, Fabrice Drèze (MR), ancien conseiller communal pendant dix-huit ans, échevin depuis un an au sein de la majorité MR-PS-Engagés. Sa mission : faire rayonner Liège, renforcer le tourisme, soutenir le commerce de proximité et redonner envie aux Liégeois de fréquenter leur centre-ville.
Un échevinat de l'attractivité pour dépasser la simple gestion
Le choix de regrouper l'ancien échevinat du commerce et celui du tourisme sous une même bannière n'est pas anodin. Il ne s'agit plus seulement de gérer les dossiers, mais de construire une véritable stratégie d'attractivité. L'objectif affiché est de créer de l'événementiel, de penser le tourisme et le commerce comme deux faces d'une même dynamique et de donner une perspective à long terme à l'économie locale.
La ville sort à peine de longues années de chantiers, marquées notamment par les travaux du tram qui ont fortement perturbé la vie des commerçants et l'arrivée des visiteurs. Les autocaristes ont déserté Liège pendant plusieurs mois, les flux de clients se sont déplacés, les habitudes ont changé. Aujourd'hui, la priorité est de redevenir une ville accueillante tant pour les Liégeois que pour les touristes belges et étrangers.
Tourisme : du marché de Noël aux mini-trips de printemps
Côté tourisme, le constat dressé à l'arrivée du nouvel échevin est clair : « il y a énormément à faire ». Liège affiche pourtant des chiffres impressionnants pour son marché de Noël : entre deux et deux millions et demi de visiteurs chaque année, issus de la périphérie, d'un rayon de 300 à 400 kilomètres, mais aussi d'Allemagne, où les circuits en cars intègrent désormais la ville dans leurs itinéraires.
Pour encourager ce tourisme en car, la ville a travaillé avec la police et les services techniques à une nouvelle cartographie : quatorze emplacements sont définis pour les dépose-minutes et le stationnement de plus longue durée, afin de sécuriser ces véhicules qui représentent un outil de travail coûteux et essentiel à l'économie locale. Le message est clair : Liège veut redevenir une destination accessible aux tours opérateurs et aux autocaristes.
Au-delà du marché de Noël, le calendrier touristique liégeois connaît des creux. Le printemps est devenu la saison des mini-trips de deux ou trois jours, tandis qu'entre la Foire d'octobre et le Village de Noël, la ville traverse quelques semaines plus calmes. C'est sur ces périodes que la stratégie d'attractivité touristique doit se renforcer, en proposant des événements de qualité capables d'attirer des visiteurs tout au long de l'année.
Une offre hôtelière en croissance et un regain de nuitées
L'Horeca liégeois affiche environ une trentaine d'hôtels, une dizaine de maisons d'hôtes et quelque 330 restaurants. Le taux d'occupation moyen avoisine 80 %, avec des baisses ponctuelles selon la saison. Pour l'échevin de l'attractivité, il reste de la marge : l'un des enjeux est de reconquérir le tourisme d'affaires en positionnant Liège comme une ville accueillante pour les colloques, congrès et séminaires.
Plusieurs groupes hôteliers ont déjà déposé des avant-projets de permis d'urbanisme, avec à la clé environ 300 nouvelles chambres dans les deux ans et demi. L'hôtel Neuvice doit ainsi doubler sa capacité à l'horizon 2026, avec un positionnement haut de gamme : restaurant gastronomique, cave à vin, suites en plein centre-ville. D'autres projets, comme l' Amosa Hôtel ou le Van der Valk en construction à Bierset, complètent ce mouvement.
Les chiffres de nuitées illustrent ce regain : avant le Covid, la ville enregistrait environ 350 000 nuitées. En 2022, ce nombre est passé à 497 000, pour atteindre 525 600 nuitées en 2024. Une progression liée à l'apaisement de la ville après les travaux et aussi notamment au rayonnement des outils culturels, du Théâtre de Liège à l'opéra, en passant par l'Orchestre philharmonique et de nombreux événements.
Le tourisme d'affaires, un levier encore sous-exploité
Pour le tourisme d'affaires, la ville compte s'appuyer sur le Palais des Congrès et sur un recensement fin de l'offre de salles. Il ne s'agit plus seulement de faire venir des entreprises, mais de leur proposer des packages touristiques et culturels exclusifs : visite des costumes du Théâtre de Liège, découvertes patrimoniales sur mesure, expériences gastronomiques liées aux produits locaux.
L'idée est de valoriser l'attractivité touristique au service de l'économie locale, en créant des passerelles entre tourisme, culture et commerce. Les grandes manifestations de la région – festival des Ardentes, Grand Prix de Formule 1 à Spa-Francorchamps, Francofolies – génèrent déjà des retombées pour le secteur hôtelier liégeois. L'enjeu est désormais de structurer davantage cette offre et de la rendre visible à l'international.
La Meuse et la navette fluviale, un fleuve à réinventer
Malgré la présence de la Meuse, Liège a longtemps sous-exploité son fleuve. Les lieux où l'on peut manger ou boire face à l'eau restent rares, alors même que les quais illuminés la nuit constituent un des atouts majeurs de la ville. L'ancienne navette fluviale, ni véritable transport, ni véritable produit touristique, peine à trouver sa place.
Un nouveau cahier des charges doit changer la donne : la future navette fluviale proposera des commentaires audio-guidés et une dizaine de croisières touristiques thématiques, gastronomiques ou centrées sur le passé industriel liégeois.
Des partenariats sont également envisagés avec Maastricht, afin de développer des synergies transfrontalières le long de la Meuse. La question d'une utilisation partielle de la navette fluviale comme moyen de transport pour les travailleurs – par exemple ceux d'Ethias – est évoquée, à condition de trouver des montages de partenariats public-privé.
Commerce : 5 400 commerces, plus de 1 100 cellules vides
Si le tourisme progresse, le commerce vit une période délicate. La ville compte environ 5 400 commerces, mais aussi 1 159 cellules vides. Les travaux du tram, les nombreux chantiers, la concurrence de l'e-commerce et des centres commerciaux périphériques ont fragilisé le centre-ville. Rue Pont d'Ile et Vinave d'Ile, autrefois parmi les artères commerçantes les plus attractives du pays, ont perdu de leur superbe.
Les témoignages des commerçants sont alarmants : baisse du flux de clients, difficultés à se payer un salaire, recours croissant aux CPAS. Le commerce de proximité subit une pression fiscale importante, des contraintes horaires lourdes et des loyers jugés trop élevés. Le moyen de gamme est particulièrement touché, pris en étau entre le haut de gamme et le bas de gamme.
Vers une ville de loisirs : horeca, artisans et grandes enseignes
Pour l'échevide l'attractivité commerciale, il faut accepter une réalité : tous les commerces ne seront plus occupés comme auparavant. Liège s'oriente vers un modèle de ville de loisirs, où l'horeca se développe fortement – en octobre, 30 ouvertures de commerces ont été recensées, dont 18 dans le secteur horeca – et où les escape-games et centres de loisirs gagnent du terrain.
Le défi est de maintenir une offre commerciale diversifiée. Cela passe par le soutien aux artisans locaux et aux petits commerces, mais aussi par le maintien de grandes enseignes locomotives, comme Zara, capables de drainer du public. La ville réfléchit à l'engagement d'un city manager ou retailer spécialisé pour attirer de nouvelles enseignes et structurer l'offre.
La Batte, les loyers et les pop-up : instruments de régulation
Symbole historique du commerce liégeois, la Batte a, elle aussi, été affectée par les travaux du tram. En quinze ans, le nombre de marchands est passé d'environ 400 à 250. Un nouveau règlement a été adopté au conseil communal : relance des abonnements, recherche d'artisans de qualité, volonté de stabiliser les emplacements pour éviter les déplacements incessants.
La question des loyers commerciaux et du cadastre est centrale. Avec un cadastre à 45 euros le mètre carré, Liège se situe au-dessus de nombreuses villes, même si elle reste en-dessous du top cinq dominé par Bruxelles, Anvers et Gand. Les loyers ne correspondent plus à la réalité de l'économie locale. L'échevin appelle donc les propriétaires à adapter leurs pratiques : loyers progressifs, périodes d'essai, soutien aux pop-up stores ouverts pendant les fêtes. La ville démarche ces commerçants temporaires pour les aider à trouver des locaux durables, avec des loyers compatibles avec leurs projets.
Centres commerciaux périphériques et image urbaine
Liège ne peut ignorer le rôle des centres commerciaux périphériques : Médiacité, Belle-Île, Rocourt, mais aussi les grands ensembles commerciaux comme à Awans. Ces pôles captent certaines enseignes qui désertent le centre-ville. Plutôt que d'opposer ces réalités, la ville se penche sur des exemples comme Mons, où la cohabitation entre piétonnier et centre commercial, adossée à une politique active, a permis de réduire le nombre de cellules vides.
Un autre enjeu est la prolifération des night shops et l'impact visuel des enseignes sur des bâtiments classés. La ville a adopté une taxe sur les enseignes non retirées après le départ d'un commerce et entend renforcer le contrôle des actes urbanistiques pour améliorer l'image urbaine.
Propreté, sécurité, mobilité : les freins au retour des Liégeois
Au-delà des chiffres, la perception joue un rôle majeur. Beaucoup de Liégeois disent ne plus venir en ville parce qu'ils la jugent sale, marquée par la toxicomanie, la mendicité, les effractions nocturnes et des parkings jugés trop chers. L'échevin nuance : une journée de stationnement en horodateur au centre-ville est plafonnée à 6 euros, quand le tarif horaire dans le centre de Maastricht peut atteindre 3,50 euros, contre 2,30 euros au parking Cathédrale.
Des mesures sont toutefois prises : « paix des travaux » demandée dans le centre-ville, action policière plus visible depuis le 2 septembre, renforcement de la présence dans les rues commerçantes. Reste la question plus large de la précarité et de la mendicité, que Liège ne peut porter seule. La ville plaide pour une solidarité financière accrue des communes voisines lorsqu'elles orientent vers Liège des personnes en grande difficulté.
Réseaux sociaux, influenceurs et nocturnes : une nouvelle communication
La stratégie d'attractivité touristique passe aussi par la communication. Liège s'est replacée dans les grands salons internationaux (Utrecht, Paris, Ostende) et mène des campagnes ciblées sur les réseaux sociaux pour toucher des publics situés dans un rayon de 300 à 400 kilomètres. Des influenceurs sont invités à découvrir la ville.
Le travail reste toutefois à intensifier, notamment pour mieux exploiter les réseaux sociaux au service du tourisme. La ville mise également sur les nocturnes commerciales pour animer ses quartiers : la traditionnelle nocturne du Carré, début décembre, s'étend désormais à la galerie Cathédrale, à la rue Charles Magnette et au passage Lemonnier. D'autres nocturnes sont organisées notamment dans le quartier des Guillemins.
Réapprendre à aimer Liège
En filigrane, une conviction : pour réussir sa stratégie d'attractivité touristique et commerciale, Liège doit d'abord reconquérir ses propres habitants. Les crises successives ont ancré d'autres habitudes, souvent hors du centre-ville. Il faut désormais « murmurer à l'oreille du Liégeois » que sa ville a changé, que des quais verdurisés à Coronmeuse aux nouveaux espaces publics, le paysage urbain évolue.
Interrogé sur la ville qui l'inspire, Fabrice Drèze cite Lyon, pour sa capacité à valoriser son fleuve et à organiser de grands événements. Mais il insiste : Liège est unique, avec son patrimoine, sa vie culturelle, sa gastronomie, ses marchés et ses contrastes. Entre marché de Noël, navette fluviale, hôtellerie en expansion et commerce de proximité en crise, c'est une ville en pleine mutation qui cherche aujourd'hui un nouvel équilibre.